LE FIGARO 28-04-2018 par Olivier Nuc
Jeanne Added, Yan Wagner, Raphael: une avalanche de reprises de Leonard Cohen à Bourges
Chaque année, le Printemps de Bourges met à l’honneur un répertoire ou une thématique dans le cadre de créations originales. La chanteuse Barbara, dont on célébrait les dix ans de la disparition en 2017, avait été mise à l’honneur l’an passé. C’est à Leonard Cohen, disparu en 2016, que le festival a choisi de rendre hommage cette année.
Pour ce faire, les organisateurs ont contacté Henk Hofstede, leader du groupe pop néerlandais The Nits, amateur déclaré de Cohen. Et c’est au sein de la superbe cathédrale de la ville que les chansons en or de ce maître ont résonné toute la soirée du vendredi 27 avril.
C’est autour du quartet Avalanche, qui se consacre exclusivement au répertoire du natif de Montréal que les intervenants se sont succédés, dans une belle harmonie. Orchestre paritaire formé par Henk Hofstede, l’Avalanche Quarter comprend deux hommes (guitare, claviers) et deux femmes (guitare, contrebasse). «Il est encore plus difficile de parler français dans une cathédrale» confie le Néerlandais au moment de présenter le principe de la soirée. «Nous allons jouer les chansons de Leonard Cohen avec beaucoup d’invités et beaucoup de cordes. Leonard était un homme avec une voix de cathédrale», précise-t-il.
Hofstede s’acquitte avec beaucoup de pudeur de l’interprétation des trois premiers titres, avec un timbre rappelant le Cohen des deux premiers albums, Songs of Leonard Cohen et Songs From A Room, celui de la fin des années 1960. C’est frappant sur Sisters of Mercy, découverte par l’élève dans une compilation des disques Columbia. Premier intervenant de la soirée, Raphael livre une belle version de cette «chanson céleste et profane» qu’est Chelsea Hotel, qui raconte la brève aventure entre Cohen et Janis Joplin dans le fameux hôtel new-yorkais, sans jamais essayer d’être dans les pas du maître.
Massif et imposant, en lunettes noires, Rover trouve des accents d’Elvis sur le blues Ain’t No Cure For Love, qu’il incarne à la manière d’un prêcheur du sud de l’Amérique. Mais la véritable perle de cette première partie de soirée un peu plate, ce sera la relecture d’I’m Your Man par la frêle Jeanne Added, qui y injecte une sensibilité nouvelle en l’interprétant avec une justesse et une classe folles. Sur Stories of the Street, Yan Wagner, costume chic et belle voix grave, évoque une manière de Nick Cave. Minimalistes, les arrangements arborent volontiers des couleurs fado (The Window) ou flamenco (Lover Lover) dans les chansons incarnées par Henk Hofstede.
Dirigées par Uele Lamore, les cordes feront décoller la deuxième partie du concert. Au piano, Hofstede reprend Famous Blue Raincoat, un standard de Cohen, avant de céder le micro à Rosemary Standley. Interprète majuscule, la Franco-Américaine enchante Blesse dis The Memory, soutenue par le violoncelle de la Brésilienne Dom La Nena. À deux seulement, elles sont bouleversantes sur Hey That’s No Way to Say Goodbye.
À bonne distance entre respect et liberté d’appropriation, la soirée trouve sa vitesse de croisière dans cette deuxième partie, plus assurée et variée que la première. Henk Hofstede raconte sa visite dans la chambre de Cohen à Hydra, en Grèce, avant de chanter Bird on A Wire tout en délicatesse, ponctué par une virgule finale à la guimbarde. C’est dans un climat un peu gitan que Raphael, assis avec sa guitare nylon revisite Stranger Song. Sobre et élégant, Yan Wagner chante le premier tube du répertoire, Suzanne, avec des inflexions très chic. Plus fiévreux, Rover a le bon goût d’avoir choisi un extrait du dernier album de Cohen, le sublime Steer Your Way.
La reprise de The Partisan par Jeanne Added touche au divin quand Night Comes On, extrait du mal aimé Various Positions, fait office de redécouverte. Dance Me To The End of Love prend des accents de musique klezmer dans son évocation voilée de l’holocauste.
En rappel, et parce qu’elle est devenue la composition la plus reprise de Cohen depuis la version qu’en donna Jeff Buckley en 1994, Jeanne Added et Henk Hofstede se partagent Hallelujah , nouveau standard mondial depuis une quinzaine d’années. Tous les intervenants reviennent pour So Long Marianne, qui clôture idéalement plus de deux heures de musique de haute volée.
LE MONDE 28-04-2018
par Bruno Lesprit
A Bourges, hommage sage et solennel à Leonard Cohen
Vendredi 27 avril, dans la cathédrale Saint-Etienne, ont résonné des reprises du chanteur canadien mort en 2016.
Mort le 6 avril, Jacques Higelin a chanté onze fois au Printemps de Bourges, dès la première édition, en 1977. La proximité de cette perte n’a guère laissé le temps d’improviser l’hommage qu’il aurait mérité, même si Arthur H lui a adressé un salut filial en interprétant Mona Lisa Klaxon, après Catherine Ringer, dès la soirée d’ouverture, avec Pars. En conséquence, la célébration dans la cathédrale, vendredi 27 avril, de l’œuvre de Leonard Cohen, parti le 7 novembre 2016, paraissait quelque peu décalée.
Difficile d’imaginer caractères aussi éloignés que ceux des deux disparus, générosité fantasque pour Higelin, retenue élégante chez Cohen. Une image que n’a pas cherché à dissiper Hallelujah, la création préparée par Henk Hofstede. Celui qui est connu comme chanteur et guitariste du groupe pop néerlandais Nits a monté un projet parallèle, Avalanche Quartet, entièrement voué à l’interprétation des chansons du Montréalais, et auteur de deux albums, Leonard Cohen Songs (2007) et Rainy Night House (2013). Probablement pour expier une occasion ratée : en 1988, Cohen et Hofstede se rencontrent pour la première et unique fois à Bruxelles et le premier propose aux Nits de l’accompagner en tournée. Déjà pris par d’autres engagements, ils déclineront.
L’assurance d’entendre des chansons belles, cruelles et intemporelles a empli jusqu’à ses capacités la nef de Saint-Etienne. Avec humour, Hofstede observe en français que l’édifice est approprié pour « un homme avec une voix comme une cathédrale ». Dans ce cadre grandiose et solennel résonnent – et hélas se réverbèrent – les arpèges acoustiques de Who By Fire. La version, fidèle et sage, donne l’orientation d’une soirée scrupuleuse jusqu’à être trop respectueuse. Le timbre grave et légèrement nasillard d’Henstede accentue le mimétisme avec l’original, sans les vertiges de profundis. A ses côtés et également à la guitare sèche, Marjolein van der Klauw apporte cette voix féminine indispensable aux prières érotiques de Cohen. Les harmonies vocales, la contrebasse d’Arwen Linnemann, les ornementations délicates au clavier ou à l’accordéon du multi-instrumentiste Pim Kops ne commettent aucune faute de goût, en observant les canons du folk. L’Avalanche Quartet passera en revue les classiques coheniens (Sisters of Mercy, Bird on a Wire, Dance Me to the End of Love, Suzanne…), en ignorant curieusement celui qui lui donne son nom.
Cinq invités, choisis parmi la scène locale, se succèdent pour ce long récital (plus de deux heures) guetté par la monotonie. L’apparition de Raphael soulève quelque inquiétude quand il annonce « une chanson profane dans un lieu sacré » – or toutes les chansons de Cohen sont sacrées. Mais le chanteur de Caravane donne une version sobre et inspirée de Chelsea Hotel en s’essayant sur sa guitare espagnole au rasgueado, cette technique flamenca de frappes rapides qui caractérisait le jeu de Cohen. Sur un lit d’orgue, Rover s’octroie davantage de licence en tirant Ain’t No Cure for Love vers le gospel, une couleur de circonstance. Et Jeanne Added ne manque pas de brouiller les genres avec I’m Your Man, délesté de son synthétiseur et de sa boîte à rythme au profit d’un banjo et d’un piano électrique. Dommage, seulement, que les imprécations de Yan Wagner tendent à un numéro d’imitation de Nick Cave.
Après l’entracte, l’ajout d’un octuor de cordes et les fins arrangements réalisés par son chef, Uele Lamore, offrent une relecture plus originale de ce répertoire. Mais c’est surtout l’entrée de Rosemary Standley, avec un harmonium portatif, et de la violoncelliste brésilienne Dom La Nena, qui permettent à la grâce de traverser les vitraux. Avec sa voix échappée d’un poste à galène datant de la Grande Dépression, la chanteuse de Moriarty emmène Blessed is the Memory dans une dimension intensément personnelle. Ce qui ne surprend guère puisque ce titre ouvrait Birds on a Wire (2014), le recueil de Rosemary Standley et Dom La Nena associant Cohen à Monteverdi ou Caetano Veloso. Le miracle se prolonge avec Hey That’s No Way to Say Goodbye, dynamisé par des pizzicati. L’attendu reprendra le dessus avec un Hallelujah – cette chanson devenue un incontournable des télé-crochets, jusque dans le scandale – pour Jeanne Added et un So Long Marianne collectif.
AFP 28-04-2018
A Bourges, Leonard Cohen chansons pour cathédrale
La plupart sont célestes, certaines sont profanes, mais les chansons de Leonard Cohen ont leur place dans une cathédrale, de “Sisters of Mercy” à “I’m Your Man”, en passant évidemment par “Hallelujah”, reprises avec choeur et âme vendredi au Printemps de Bourges.
La création de cette 42e édition, en hommage au grand poète folk canadien disparu il y a deux ans a été confiée à un de ses fans, Henke Hofstede, le leader du groupe néerlandais The Nits.
C’est avec l’Avalanche Quartet, qu’il a créé il y a quelques années pour reprendre le répertoire de Cohen, qu’il s’est attelé à cette tâche sans pourtant avoir beaucoup le temps de se préparer avec les artistes invités à l’accompagner, parmi lesquels Jeanne Added, Rover, Raphaël, Yan Wagner, Dom La Nena et Rosemary Standley, chanteuse du groupe Moriarty.
Sans filet dans ce cadre majestueux qu’est la cathédrale de Bourges, où l’écho ne pardonne pas le moindre péché tonal ou vocal, tous ont été à la hauteur du défi qui leur était proposé lors d’un récital à la première partie acoustique et la seconde partie symphonique, avec l’apparition d’un orchestre de cordes dirigé par Uele Lamore.
Avec sa voix parfois glaciale, quelque part entre Ian Curtis et Dave Gahan, Ian Wagner a notamment excellé dans sa reprise de “Stranger Song”, pourtant à des années lumières de son registre personnel électro-pop.
Raphaël a été convaincant dans son interprétation du sulfureux “Chelsea Hotel”. Rover, à la présence toujours si imposante, a parfois tutoyé les anges sur “Ain’t No Cure For Love”, se permettant même de crooner par instant sans que ça ne lui coupe les ailes.
Et que dire de Jeanne Added, en totale maîtrise de sa puissance vocale ? Leonard Cohen aurait probablement souri de voir les rôles s’inverser avec tant de justesse sur “I’m Your Man”, chanson ô combien masculine interprétée par une femme.
Il aurait aussi apprécié d’entendre Henke Hofstede se charger sur ce même titre des choeurs qu’il aimait tant confier aux voix féminines. Dans ceux qu’il a repris, comme “Sisters of Mercy”, le leader des Nits a par ailleurs été frappant par son timbre quasi identique à celui du Cohen débutant à la fin des années soixante.
Mais c’est bel et bien Jeanne Added, avec une foi inébranlable et une conviction totale, qui a encore élevé le niveau en fin de parcours, en interprétant deux chansons emblématiques de l’oeuvre géniale de Cohen, “The Partisan” et “Hallelujah”, en duo avec Hostede pour cette dernière.
Entendre ainsi chantés l’Histoire et le Sacré, si bien écrits par Leonard Cohen - juif pratiquant autant que bouddhiste -, dans les murs de la cathédrale de Bourges avait parfois quelque chose de divin.
Mercredi 31 janvier 2018 16:30 – Coutances
Concerts. The Avalanche Quartet revisite les chansons de Leonard Cohen
The Avalanche Quartet reprend le répertoire de Leonard Cohen depuis plusieurs années. Le groupe est en concert dans l’Ouest ce week-end. À Coutances, samedi 3 février, et à Rennes, dimanche 4 février. Entretien avec son leader, Henk Hofstede, le chanteur du groupe hollandais The Nits. Il parle de sa relation particulière avec Leonard Cohen et ses chansons.
Si la pop aux Pays-Bas devait se résumer à un nom, ce pourrait être celui de Henk Hofstede. Avec son groupe, The Nits, il mène depuis plus de trente ans une carrière aussi admirable que discrète. Mais cet orfèvre musicien a aussi une autre vie au sein de The Avalanche Quartet. Un groupe parallèle dédié au répertoire de Leonard Cohen.
Comment est né The Avalanche Quartet ?
Vers 2002-2003, j’avais été invité à jouer quelques chansons à Hydra, l’île grecque où Leonard Cohen possède une maison, lors d’une rencontre de fans. J’y ai rencontré un auteur belge qui écrivait un ouvrage sur Leonard et il m’a demandé si je pouvais enregistrer des reprises pour un CD fourni avec son livre. Je m’y suis mis avec mon ami Pim Kops et deux dames. Quand nous avons fini, nous avons décidé de donner quelques concerts. The Avalanche Quartet était né. Rien n’était planifié. Nous avons été invités à jouer une chanson à la télé hollandaise. Beaucoup de monde a vu cette prestation et les demandes de concerts ont suivi. On a débuté dans de petites salles et puis cela a plu.
Depuis, vous continuez…
La plupart du temps, je joue avec les Nits et Pim avec De Djik, un groupe très connu aux Pays-Bas donc nous n’avons pas beaucoup de temps à consacrer à The Avalanche Quartet. Les seuls moments où nos groupes ne tournent pas, c’est en janvier et février. Nous en profitons pour nous produire avec The Avalanche Quartet. Nous avons aussi enregistré deux disques, nous en préparons un troisième. Il y a tellement de chansons à reprendre. Parfois, pour amener un peu de diversité, nous reprenons des morceaux liés à Leonard Cohen. Des chansons de Joni Mitchell, par exemple, ou The Night Owl, la chanson que j’avais écrite avec les Nits après ma première visite dans la maison de Leonard à Hydra.
Vous pouvez nous raconter cette visite ?
C’était au début des années 1990. J’accompagnais mon ami finlandais Seppo Pietikainen pour le tournage d’un documentaire sur Leonard et sa maison d’Hydra. Nous avions été autorisés à nous rendre dans cette maison dont un vieux couple, des amis de Leonard, s’occupait toute l’année. Elle n’est pas énorme, elle ressemble aux autres maisons du village. Et il y a cette fameuse pièce que nous recherchions, celle où Leonard écrivait et travaillait, celle que l’on voit sur l’album Songs from a Room avec cette photo de Marianne, assise à un bureau devant une machine à écrire. C’était magique de me retrouver dans cette pièce reliée à tellement de chansons qui ont compté dans ma vie. J’ai regardé par la fenêtre en cherchant un oiseau sur un fil électrique (allusion à la chanson Bird on a Wire). La seconde fois que nous sommes revenus, pour tourner, la pièce était en pleine rénovation. Tout était en train de changer… Quand Leonard a entendu parler de cette histoire, il a trouvé ça très drôle.
Quel est votre premier souvenir lié à Leonard Cohen ?
À la fin des années 1960, j’avais acheté une compilation à petit prix qui s’intitulait The Rock Machine Turns You On. Il y avait dessus Bob Dylan, Simon and Garfunkel, Taj Mahal, Blood Sweet and Tears… Et au milieu de tout ça, un nom inconnu : Leonard Cohen. Et cette chanson Sisters of Mercy. Je suis tombé immédiatement amoureux de sa musique. Comme beaucoup de personnes. Et je trouve toujours ses deux premiers albums – Songs of Leonard Cohen et Songs from a Room – très puissants. Quand je les réécoute, ils sont pour moi une machine à remonter le temps.
Quelles sont vos chansons favorites ?
Oh, eh bien… C’est dur à dire… J’aime autant des chansons plus récentes, comme Secret Life, que Famous Blue Raincoat et Take this Waltz, Winter Lady, The Stranger Song. Seems so Long Ago Nancy est une de mes favorites aussi, je l’ai traduite en néerlandais à la demande d’un éditeur pour une livre de chansons de Leonard Cohen. J’étais chargé de coordonner l’ouvrage. J’ai traduit deux chansons et j’ai proposé à plusieurs écrivains néerlandais de traduire son travail. Personne ne l’avait jamais fait, hormis pour Suzanne. Et Remco Campert, un de nos poètes les plus célèbres, avait traduit certains de ses poèmes à la fin des années 1960.
Vous avez aussi rencontré Leonard Cohen…
Oui. En 1988, à Bruxelles lors de l’enregistrement d’une émission de télé. Nous nous sommes rencontrés brièvement à la cantine. Leonard connaissait Seppo, qui traduisant ses chansons en Finlande. Ils sortaient souvent ensemble après les concerts que Leonard donnait à Helsinki. Il l’avait vu quelques jours avant. Cela m’a permis de me présenter comme un ami de Seppo. Nous avons mangé ensemble, il a parlé de sa vie, de sa tournée mondiale qui allait bientôt démarrer. Il n’avait pas de groupe alors il m’a proposé que les Nits l’accompagnent. Il nous connaissait. Son label, qui était aussi le nôtre, lui avait donné nos albums et il les avait appréciés. Hélas, nous étions en plein dans une tournée européenne. J’ai donc dû décliner sa proposition. Elle n’était peut-être pas sérieuse mais qui sait…
Vous avez des regrets ?
Un petit peu… Ça aurait été une sacrée aventure. Mais, d’un autre côté, j’avais ma propre carrière à mener. Ça marchait plutôt bien pour nous à l’époque. Cela aurait été un peu stupide de tout laisser tomber pour se retrouver à jouer derrière quelqu’un, même si c’était Leonard Cohen. Je pense que j’ai pris la bonne décision.
Vous vous souvenez du jour de sa mort ?
J’ai été bien occupé ce jour-là. Au milieu de la nuit, j’ai entendu une rumeur disant qu’il n’allait pas bien. Le matin, au réveil, j’ai reçu une vingtaine de demandes d’interview… Aux Pays-Bas, je suis considéré comme un des grands connaisseurs de Leonard. Pour ce que je fais avec The Avalanche quartet et le reste. Je me suis retrouvé à la radio, à la télé. Du matin au soir, j’ai parlé de Leonard. Toute ma journée a tourné autour de lui. J’ai interprété certaines de ses chansons. Dont Hallelujah pour la première fois. Je ne la chante jamais. J’aime cette chanson, notamment les versions de John Cale et Jeff Buckley. Mais elle a été tellement reprise, notamment dans les concours de talents à la télé. Ce jour-là, j’ai fait une exception.
La version originale d’Hallelujah, sur l’album Various Positions, est assez surprenante. Très synthétique…
Oui, je n’ai jamais compris certains de ses choix d’arrangements sur disque. Ses concerts étaient souvent bien meilleurs : le choix des musiciens, des instruments, des orchestrations était plus délicat que pour ses enregistrements. Je ne sais pas pourquoi il n’a jamais choisi cette option en studio.
Avec les Nits, vous aimez aussi mélanger des arrangements synthétiques avec une approche plus folk…
C’est un mélange que j’apprécie. Je ne suis pas fan des albums totalement acoustiques. Il y a de nombreux albums folk qui m’endorment au bout de quatre ou cinq morceaux. J’aime les musiques électroniques, je suis un grand amateur de Kraftwerk et Stockhausen. Même si avec The Avalanche Quartet, le parti pris est totalement acoustique. Je pense que c’est la meilleure manière d’interpréter les chansons de Leonard Cohen. Nous quatre, un piano, des guitares…
Savez-vous si Leonard Cohen avait entendu parler de The Avalanche Quartet ?
Je suis pratiquement sûr que oui. Je lui ai envoyé les albums que nous avons enregistrés mais il ne m’a jamais répondu. Je sais que Richard Robert, un journaliste des Inrockuptibles, avait rendu visite à Leonard à Los Angeles et lui avait amené un album du Avalanche Quartet. Et Patrick Leonard, qui a produit des albums de Leonard Cohen, a joué avec nous à Amsterdam. Donc il est pratiquement impossible que Leonard n’en ait pas entendu parler.
Pour vous, The Avalanche Quartet est-il une sorte de tribute band, de groupe hommage ?
Non, je ne le vois pas comme ça. J’aime beaucoup Leonard, ses chansons, sa façon de vivre en tant qu’artiste pop, rock, folk… je ne sais pas ce qui s’applique le mieux. C’est quelque chose qui m’a beaucoup inspiré mais je ne vais pas passer le reste de ma vie à jouer des chansons de Leonard Cohen. Et puis, je ne pense pas que Leonard aurait aimé le mot hommage. Cela l’aurait plus fait rire qu’autre chose.
The Avalanche Quartet en concert samedi 3 février à 21 h au théâtre municipal de Coutances (complet) et dimanche 4 février à 16 h à l’Antipode de Rennes.
Recueilli par Philippe MATHÉ Ouest-France
Le Monde 5 juillet 2007
Un hommage raffiné à Leonard Cohen aux Tombées de la nuit
Rennes Envoyé spécial
Le 3 juillet au matin, les Rennais ont pu remarquer que des milliers de pierres bleues s’étaient abattues sur leur ville. Atterri parfois avec fracas sur une voiture, un scooter et un chien, cette pluie fictive de météorites a donné le départ du festival des Tombées de la nuit, prévu jusqu’au 8 juillet. Ce clin d’oeil métaphorique se veut à l’image d’une programmation pluridisciplinaire qui investit l’espace public. Le 4 juillet, on pouvait, par exemple, commencer son après-midi dans le parc du Thabor. On devinait sous des igloos de plastique les silhouettes des musiciens d’une fanfare virtuelle. A chacun de découvrir les sons répartis dans l’espace au fil de la marche par la compagnie belge Het Pakt ! De la fantaisie de plein air, on pouvait passer au confinement d’un minuscule chapiteau en forme de moulin à café, le Moulin Cabot. On a d’abord l’impression d’avoir croisé dix fois les clowns de la compagnie 2 rien merci, leur esthétique de bredins de village et de produits de récupération. On s’attache pourtant à ces quatre personnages façonnant leur cirque entre déglingue, grâce et rouille.
Quel contraste avec les ors et velours de l’opéra de Rennes, où les organisateurs ont choisi de jouer le décalage d’une affiche pop. Le cadre convenait à merveille au raffinement de l’Avalanche Quartet de Henk Hofstede, programmé en exclusivité aux Tombées de la nuit. Célébré depuis vingt-cinq ans pour son travail d’orfèvre au sein de The Nits, groupe phare de la pop néerlandaise, Henk rend en ce moment hommage à Leonard Cohen. Fan du ténébreux poète montréalais, au point d’avoir tourné un petit documentaire dans l’île grecque d’Hydra, à la recherche de la chambre figurant au dos de la pochette d’un album de Cohen, le chanteur hollandais avait accepté d’enregistrer des reprises du Canadien pour un disque accompagnant une biographie rédigée par un journaliste belge.
Le projet a muté en un album plus ambitieux, Avalanche Quartet : Leonard Cohen Songs (disponible par Internet), suivi d’une tournée. Le mélange de rayonnante spontanéité et d’exceptionnelle précision qui a fait la réputation live des Nits profite ici à Famous Blue Raincoat, Seems So Long Ago Nancy, Sisters of Mercy… Cohen souffre du même malentendu que Georges Brassens. On vante ses textes en négligeant ses mélodies. Subtilement accompagné par une chanteuse-guitariste, une contrebassiste, un guitariste et un multi-instrumentiste (accordéon, percussions, claviers, guitare), Henk valorise particulièrement la délicatesse ciselée de ces compositions. Nourrissant son concert d’anecdotes, de touche d’humour et de didactisme, le leader des Nits insuffle une tendre luminosité à des chansons qui semblent se réjouir d’autant d’intelligence et d’humanité.
Stéphane Davet
dimanche 8 juillet 2007
Henk Hosftede & Avalanche Quartet, dans la vérité de Leonard Cohen
Je suis toujours dans la chaleur du merveilleux concert dont j’ai vu quarante minutes, mercredi soir aux Tombées de la nuit à Rennes : le projet Avalanche d’Henk Hofstede, consacré aux chansons de Leonard Cohen. Je n’ai hélas pu en dire grand-chose dans mon papier pour Le Figaro, et je regrette de n’en avoir pas plus vu, entre deux autres spectacles (le journaliste en festival, gavé et frustré à la fois).
Tout le monde avait remarqué dans les disques des Nits que la voix d’Henk Hofstede n’est pas très éloignée du timbre de Leonard Cohen. Il n’a pas voulu s’en éloigner plus, surjouer une indépendance qu’il ne recherchait pas : plusieurs de ses interprétations ne sont guère éloignées des originales du maître, comme Bird on a Wire (avec ses quatre acolytes, ils ont même prévu la guimbarde). Il y a quelque chose de très fin dans la manière dont il conduit les chansons de Leonard Cohen vers son propre univers, par de très légères nuances d’équilibre comme la domination des voix féminines dans Here It Is ou le fait que la voix lead d’ I’m Your Man est tenue par une femme. Curieusement, on ne sent nulle piété manifeste : ce répertoire ne l’intimide pas, il y circule un peu comme le gardien de musée parmi les tableaux, comme s’il savait parfaitement quel contact, quelle matière, quel geste peuvent être dangereux pour les œuvres aimées.
Mercredi à Rennes, ce joli rang de cinq musiciens radieux avait quelque chose de si manifestement heureux… J’en suis d’autant plus pantois que ce sera le seul concert en France de cette formation et que le disque Leonard Cohen Songs n’ait pas trouvé de distributeur dans un pays pourtant ami des Nits et qu’il faille le commander sur internet. C’est pourtant une des plus belles entreprises rock de l’année.
Publié par Bertrand Dicale
Live | 11 juillet 2007
Songwriting: les chansons de Leonard Cohen choyées
Le festival des Tombées de la Nuit levait, la semaine passée, les yeux sur une aube rare: l’Avalanche Quartet, avec Henk Hofstede des Nits, reprenaient le poète canadien
Il y a bien longtemps que Leonard Cohen n’a pas promené son élégante silhouette sur les scènes françaises. Mais le 4 juillet dernier, à l’Opéra de Rennes, son esprit était bien là, divinement ranimé par les membres de l’Avalanche Quartet (en quintette pour l’occasion).
Dans le cadre de l’admirable festival Les Tombées de la Nuit, ce groupe néerlandais, réuni autour du chanteur des Nits Henk Hofstede, a proposé une plongée soufflante de beauté dans le répertoire du Canadien. Depuis longtemps familier de l’ oeuvre de Leonard Cohen, Henk Hofstede, posant sa voix subtilement expressive sur des arrangements électro-acoustiques sophistiqués (guitares, contrebasse, accordéon, piano, cajón…), a démontré qu’on pouvait se glisser dans l’habit du poète canadien sans le trahir ni le singer. Pour lui, ce projet est aussi une belle occasion de rattraper un rendez-vous manqué avec Leonard Cohen. “Il y a vingt ans, j’ai eu le privilège de le rencontrer à Bruxelles, lors de l’enregistrement d’une émission télévisée. Il m’a dit qu’il aimait beaucoup les Nits, et m’a proposé que nous l’accompagnions sur sa prochaine tournée. Nous avions déjà beaucoup d’engagements de notre côté, et ça n’a pas pu se faire. Sur le moment, je n’ai pas mesuré ce que ça représentait. Mais par la suite, j’en ai eu des sueurs froides rien qu’en y repensant!”
Avec l’Avalanche Quartet, également auteur d’un album chaudement recommandé (Leonard Cohen Songs), les chansons de Leonard Cohen sont tombées entre de bonnes mains. Celles des honnêtes hommes et des grands musiciens, auxquelles elles ont toujours semblé destinées.
Richard Robert
Jeudi 29 novembre 2007
Rockomondo audio-blog
En attendant le nouvel album des Nits (prévu l’année prochaine), on ne perdra pas son temps en écoutant le très bel hommage rendu à Léonard Cohen par Henk Hofstede et quelques uns de ses amis sous le nom d’Avalanche Quartet. C’est en 1988 que le chanteur des Nits rencontre Cohen dans un studio de télévision bruxellois. Fan depuis toujours, il invite le canadien à diner avec lui et c’est là que ce dernier lui confie qu’à la veille de partir en tournée mondiale, il n’a toujours pas de groupe pour l’accompagner. Est-ce que les Nits ne seraient pas par hasard disponibles pour remplir cette fonction ? Malheureusement, à cette époque, le groupe hollandais est en plein milieu de sa propre tournée qui l’emmène un peu partout dans le monde après le succès de l’album “In the Dutch mountains”, et se voit donc contraint de décliner la proposition. Henk Hofstede raconte qu’aujourd’hui encore, il lui arrive de se réveiller en sursaut la nuit en faisant des cauchemars à propos de ce rendez-vous manqué.
Deux ans plus tard, on le retrouve à Hydra, l’ile grecque où Leonard Cohen a écrit ses premières chansons. L’idée est de retrouver la chambre figurant au verso de la pochette de “Songs from a room” pour un reportage tourné par le cinéaste finlandais Seppo Pietikainen. C’est lors de ce voyage qu’Henk Hofstede fait la connaissance du journaliste belge Marc Hendrickx, venu au même endroit pour écrire une biographie de Cohen. Les deux se mettent d’accord pour faire accompagner l’édition hollandaise du livre par un CD de reprises enregistré par Henk Hofstede.
Sorti en 2005 sous le titre “Yesterday’s tomorrow”, le livre-CD reçoit un excellent accueil dans la presse néerlandaise. Sur le disque, Henk Hofstede au chant et à la guitare acoustique est accompagné par la chanteuse Marjolein van der Klauw, la contrebassiste Arwen Linneman et le multi-instrumentiste Pim Kops. Le traitement tout acoustique, bien que restant fidèle aux chansons de Cohen, leur offre de belles teintes boisées et chaleureuses que n’avaient pas toujours les versions originales. Et les voix en duo féminin/masculin offrent une lecture inédite qui rappelle souvent ce grand folksinger néerlandais injustement méconnu qu’est Ad van Meurs, alias The Watchman.
Il aurait été dommage d’abandonner à ce stade une aussi bonne idée, et c’est pourquoi ce projet est devenu aujourd’hui un vrai groupe qui se produit sous le nom d’Avalanche Quartet. On a pu le voir en France l’été dernier pour un concert unique à l’Opéra de Rennes dans le cadre du festival “Les Tombées de la Nuit”, salué par une critique unanimement enthousiaste. Espérons que ce ne sera pas le dernier. Quand à l’album, il a été réédité en janvier 2007 dans une version améliorée par le label suisse Faze Records. On attend toujours une distribution française.
publié par J.P. Moya
Tombées de la Nuit, Rennes 2007
Henk Hofstede (voix, guitare), Marjolein van der Klauw (voix, guitare), Pim Kops (multi-instrumentiste), Arwen Linnemann (contrebasse)
Henk Hofstede, leader des merveilleux Nits, affi rme sa place à part dans le festival en revenant cette année avec ce nouveau projet autour des chansons de Leonard Cohen. Après ses nombreux concerts à l’Aire Libre avec ses Nits et sa venue aux Tombées de la Nuit en 2005 pour sa magnifi que performance solo de chansons en fl amand et en images, il nous présente cette fois son subtil Avalanche Quartet (titre emblématique de Cohen). Cet orchestre de chambre pop tout en acoustique et en voix a été réuni au départ pour un enregistrement destiné à illustrer une biographie du chanteur canadien. Mais ce magnifi que travail ne pouvait rester confi né aux bibliothèques et aux enceintes de quelques privilégiés…
Fan de longue date de l’oeuvre du ténébreux Canadien, Henk Hofstede le croise pour la première fois sur un plateau de télévision à Bruxelles en 1988. Il prend son courage à deux mains, entame la discussion et la soirée se poursuit dans une cafétéria. Cohen n’a pas de groupe pour sa prochaine tournée et propose à Henk de l’accompagner. Les Nits sont au fait de leur carrière et s’envolent pour le Canada, New York, Moscou… Des années plus tard, Henk se lèvera encore la nuit en repensant à cette occasion manquée. Après un projet de documentaire avec son ami cinéaste finlandais Seppo Pietikaïnen, autour de Leonard Cohen, il rencontre en 2003 l’écrivain belge Marc Hendrickx qui est en train de terminer une biographie du chanteur. Henk enregistre dix chansons de Leonard Cohen pour l’inclure dans le livre Yesterday’s tomorrow. L’Avalanche Quartet est né, soit son ami Pim Kops (De Dijk), Marjolein van der Klauw (Powderblue) et l’ancienne contrebassiste des Nits, Arwen Linnemann. Ce qui frappe d’emblée à l’écoute des dix chansons de l’album, c’est qu’on pourrait très bien être en présence de quelques magnifi ques chansons inédites des Nits.
Est-ce parce qu’Henk Hofstede a tellement fait sien l’univers et l’héritage de Cohen qu’il peut en jouer avec une totale liberté ? Estce son chant aérien, de plus en plus précis, qui peut transfigurer à sa main la plus marquée des mélodies ? La dimension européenne de l’art du canadien transparaît étonnement à travers l’instrumentation aussi subtile que dépouillée (Take this waltz, Dance me to the end of love). Les choeurs quasi liturgiques des deux femmes nous emmènent très loin dans l’émotion. C’est à un nouveau voyage en chanson, aussi libre et respectueux que passionnant, que nous convie Henk Hostede, affi rmant encore, s’il est besoin, sa place unique dans l’univers de la pop contemporaine.
Jeanne Added, Yan Wagner, Raphael: une avalanche de reprises de Leonard Cohen à Bourges
Chaque année, le Printemps de Bourges met à l’honneur un répertoire ou une thématique dans le cadre de créations originales. La chanteuse Barbara, dont on célébrait les dix ans de la disparition en 2017, avait été mise à l’honneur l’an passé. C’est à Leonard Cohen, disparu en 2016, que le festival a choisi de rendre hommage cette année.
Pour ce faire, les organisateurs ont contacté Henk Hofstede, leader du groupe pop néerlandais The Nits, amateur déclaré de Cohen. Et c’est au sein de la superbe cathédrale de la ville que les chansons en or de ce maître ont résonné toute la soirée du vendredi 27 avril.
C’est autour du quartet Avalanche, qui se consacre exclusivement au répertoire du natif de Montréal que les intervenants se sont succédés, dans une belle harmonie. Orchestre paritaire formé par Henk Hofstede, l’Avalanche Quarter comprend deux hommes (guitare, claviers) et deux femmes (guitare, contrebasse). «Il est encore plus difficile de parler français dans une cathédrale» confie le Néerlandais au moment de présenter le principe de la soirée. «Nous allons jouer les chansons de Leonard Cohen avec beaucoup d’invités et beaucoup de cordes. Leonard était un homme avec une voix de cathédrale», précise-t-il.
Hofstede s’acquitte avec beaucoup de pudeur de l’interprétation des trois premiers titres, avec un timbre rappelant le Cohen des deux premiers albums, Songs of Leonard Cohen et Songs From A Room, celui de la fin des années 1960. C’est frappant sur Sisters of Mercy, découverte par l’élève dans une compilation des disques Columbia. Premier intervenant de la soirée, Raphael livre une belle version de cette «chanson céleste et profane» qu’est Chelsea Hotel, qui raconte la brève aventure entre Cohen et Janis Joplin dans le fameux hôtel new-yorkais, sans jamais essayer d’être dans les pas du maître.
Massif et imposant, en lunettes noires, Rover trouve des accents d’Elvis sur le blues Ain’t No Cure For Love, qu’il incarne à la manière d’un prêcheur du sud de l’Amérique. Mais la véritable perle de cette première partie de soirée un peu plate, ce sera la relecture d’I’m Your Man par la frêle Jeanne Added, qui y injecte une sensibilité nouvelle en l’interprétant avec une justesse et une classe folles. Sur Stories of the Street, Yan Wagner, costume chic et belle voix grave, évoque une manière de Nick Cave. Minimalistes, les arrangements arborent volontiers des couleurs fado (The Window) ou flamenco (Lover Lover) dans les chansons incarnées par Henk Hofstede.
Dirigées par Uele Lamore, les cordes feront décoller la deuxième partie du concert. Au piano, Hofstede reprend Famous Blue Raincoat, un standard de Cohen, avant de céder le micro à Rosemary Standley. Interprète majuscule, la Franco-Américaine enchante Blesse dis The Memory, soutenue par le violoncelle de la Brésilienne Dom La Nena. À deux seulement, elles sont bouleversantes sur Hey That’s No Way to Say Goodbye.
À bonne distance entre respect et liberté d’appropriation, la soirée trouve sa vitesse de croisière dans cette deuxième partie, plus assurée et variée que la première. Henk Hofstede raconte sa visite dans la chambre de Cohen à Hydra, en Grèce, avant de chanter Bird on A Wire tout en délicatesse, ponctué par une virgule finale à la guimbarde. C’est dans un climat un peu gitan que Raphael, assis avec sa guitare nylon revisite Stranger Song. Sobre et élégant, Yan Wagner chante le premier tube du répertoire, Suzanne, avec des inflexions très chic. Plus fiévreux, Rover a le bon goût d’avoir choisi un extrait du dernier album de Cohen, le sublime Steer Your Way.
La reprise de The Partisan par Jeanne Added touche au divin quand Night Comes On, extrait du mal aimé Various Positions, fait office de redécouverte. Dance Me To The End of Love prend des accents de musique klezmer dans son évocation voilée de l’holocauste.
En rappel, et parce qu’elle est devenue la composition la plus reprise de Cohen depuis la version qu’en donna Jeff Buckley en 1994, Jeanne Added et Henk Hofstede se partagent Hallelujah , nouveau standard mondial depuis une quinzaine d’années. Tous les intervenants reviennent pour So Long Marianne, qui clôture idéalement plus de deux heures de musique de haute volée.
LE MONDE 28-04-2018
par Bruno Lesprit
A Bourges, hommage sage et solennel à Leonard Cohen
Vendredi 27 avril, dans la cathédrale Saint-Etienne, ont résonné des reprises du chanteur canadien mort en 2016.
Mort le 6 avril, Jacques Higelin a chanté onze fois au Printemps de Bourges, dès la première édition, en 1977. La proximité de cette perte n’a guère laissé le temps d’improviser l’hommage qu’il aurait mérité, même si Arthur H lui a adressé un salut filial en interprétant Mona Lisa Klaxon, après Catherine Ringer, dès la soirée d’ouverture, avec Pars. En conséquence, la célébration dans la cathédrale, vendredi 27 avril, de l’œuvre de Leonard Cohen, parti le 7 novembre 2016, paraissait quelque peu décalée.
Difficile d’imaginer caractères aussi éloignés que ceux des deux disparus, générosité fantasque pour Higelin, retenue élégante chez Cohen. Une image que n’a pas cherché à dissiper Hallelujah, la création préparée par Henk Hofstede. Celui qui est connu comme chanteur et guitariste du groupe pop néerlandais Nits a monté un projet parallèle, Avalanche Quartet, entièrement voué à l’interprétation des chansons du Montréalais, et auteur de deux albums, Leonard Cohen Songs (2007) et Rainy Night House (2013). Probablement pour expier une occasion ratée : en 1988, Cohen et Hofstede se rencontrent pour la première et unique fois à Bruxelles et le premier propose aux Nits de l’accompagner en tournée. Déjà pris par d’autres engagements, ils déclineront.
L’assurance d’entendre des chansons belles, cruelles et intemporelles a empli jusqu’à ses capacités la nef de Saint-Etienne. Avec humour, Hofstede observe en français que l’édifice est approprié pour « un homme avec une voix comme une cathédrale ». Dans ce cadre grandiose et solennel résonnent – et hélas se réverbèrent – les arpèges acoustiques de Who By Fire. La version, fidèle et sage, donne l’orientation d’une soirée scrupuleuse jusqu’à être trop respectueuse. Le timbre grave et légèrement nasillard d’Henstede accentue le mimétisme avec l’original, sans les vertiges de profundis. A ses côtés et également à la guitare sèche, Marjolein van der Klauw apporte cette voix féminine indispensable aux prières érotiques de Cohen. Les harmonies vocales, la contrebasse d’Arwen Linnemann, les ornementations délicates au clavier ou à l’accordéon du multi-instrumentiste Pim Kops ne commettent aucune faute de goût, en observant les canons du folk. L’Avalanche Quartet passera en revue les classiques coheniens (Sisters of Mercy, Bird on a Wire, Dance Me to the End of Love, Suzanne…), en ignorant curieusement celui qui lui donne son nom.
Cinq invités, choisis parmi la scène locale, se succèdent pour ce long récital (plus de deux heures) guetté par la monotonie. L’apparition de Raphael soulève quelque inquiétude quand il annonce « une chanson profane dans un lieu sacré » – or toutes les chansons de Cohen sont sacrées. Mais le chanteur de Caravane donne une version sobre et inspirée de Chelsea Hotel en s’essayant sur sa guitare espagnole au rasgueado, cette technique flamenca de frappes rapides qui caractérisait le jeu de Cohen. Sur un lit d’orgue, Rover s’octroie davantage de licence en tirant Ain’t No Cure for Love vers le gospel, une couleur de circonstance. Et Jeanne Added ne manque pas de brouiller les genres avec I’m Your Man, délesté de son synthétiseur et de sa boîte à rythme au profit d’un banjo et d’un piano électrique. Dommage, seulement, que les imprécations de Yan Wagner tendent à un numéro d’imitation de Nick Cave.
Après l’entracte, l’ajout d’un octuor de cordes et les fins arrangements réalisés par son chef, Uele Lamore, offrent une relecture plus originale de ce répertoire. Mais c’est surtout l’entrée de Rosemary Standley, avec un harmonium portatif, et de la violoncelliste brésilienne Dom La Nena, qui permettent à la grâce de traverser les vitraux. Avec sa voix échappée d’un poste à galène datant de la Grande Dépression, la chanteuse de Moriarty emmène Blessed is the Memory dans une dimension intensément personnelle. Ce qui ne surprend guère puisque ce titre ouvrait Birds on a Wire (2014), le recueil de Rosemary Standley et Dom La Nena associant Cohen à Monteverdi ou Caetano Veloso. Le miracle se prolonge avec Hey That’s No Way to Say Goodbye, dynamisé par des pizzicati. L’attendu reprendra le dessus avec un Hallelujah – cette chanson devenue un incontournable des télé-crochets, jusque dans le scandale – pour Jeanne Added et un So Long Marianne collectif.
AFP 28-04-2018
A Bourges, Leonard Cohen chansons pour cathédrale
La plupart sont célestes, certaines sont profanes, mais les chansons de Leonard Cohen ont leur place dans une cathédrale, de “Sisters of Mercy” à “I’m Your Man”, en passant évidemment par “Hallelujah”, reprises avec choeur et âme vendredi au Printemps de Bourges.
La création de cette 42e édition, en hommage au grand poète folk canadien disparu il y a deux ans a été confiée à un de ses fans, Henke Hofstede, le leader du groupe néerlandais The Nits.
C’est avec l’Avalanche Quartet, qu’il a créé il y a quelques années pour reprendre le répertoire de Cohen, qu’il s’est attelé à cette tâche sans pourtant avoir beaucoup le temps de se préparer avec les artistes invités à l’accompagner, parmi lesquels Jeanne Added, Rover, Raphaël, Yan Wagner, Dom La Nena et Rosemary Standley, chanteuse du groupe Moriarty.
Sans filet dans ce cadre majestueux qu’est la cathédrale de Bourges, où l’écho ne pardonne pas le moindre péché tonal ou vocal, tous ont été à la hauteur du défi qui leur était proposé lors d’un récital à la première partie acoustique et la seconde partie symphonique, avec l’apparition d’un orchestre de cordes dirigé par Uele Lamore.
Avec sa voix parfois glaciale, quelque part entre Ian Curtis et Dave Gahan, Ian Wagner a notamment excellé dans sa reprise de “Stranger Song”, pourtant à des années lumières de son registre personnel électro-pop.
Raphaël a été convaincant dans son interprétation du sulfureux “Chelsea Hotel”. Rover, à la présence toujours si imposante, a parfois tutoyé les anges sur “Ain’t No Cure For Love”, se permettant même de crooner par instant sans que ça ne lui coupe les ailes.
Et que dire de Jeanne Added, en totale maîtrise de sa puissance vocale ? Leonard Cohen aurait probablement souri de voir les rôles s’inverser avec tant de justesse sur “I’m Your Man”, chanson ô combien masculine interprétée par une femme.
Il aurait aussi apprécié d’entendre Henke Hofstede se charger sur ce même titre des choeurs qu’il aimait tant confier aux voix féminines. Dans ceux qu’il a repris, comme “Sisters of Mercy”, le leader des Nits a par ailleurs été frappant par son timbre quasi identique à celui du Cohen débutant à la fin des années soixante.
Mais c’est bel et bien Jeanne Added, avec une foi inébranlable et une conviction totale, qui a encore élevé le niveau en fin de parcours, en interprétant deux chansons emblématiques de l’oeuvre géniale de Cohen, “The Partisan” et “Hallelujah”, en duo avec Hostede pour cette dernière.
Entendre ainsi chantés l’Histoire et le Sacré, si bien écrits par Leonard Cohen - juif pratiquant autant que bouddhiste -, dans les murs de la cathédrale de Bourges avait parfois quelque chose de divin.
Mercredi 31 janvier 2018 16:30 – Coutances
Concerts. The Avalanche Quartet revisite les chansons de Leonard Cohen
The Avalanche Quartet reprend le répertoire de Leonard Cohen depuis plusieurs années. Le groupe est en concert dans l’Ouest ce week-end. À Coutances, samedi 3 février, et à Rennes, dimanche 4 février. Entretien avec son leader, Henk Hofstede, le chanteur du groupe hollandais The Nits. Il parle de sa relation particulière avec Leonard Cohen et ses chansons.
Si la pop aux Pays-Bas devait se résumer à un nom, ce pourrait être celui de Henk Hofstede. Avec son groupe, The Nits, il mène depuis plus de trente ans une carrière aussi admirable que discrète. Mais cet orfèvre musicien a aussi une autre vie au sein de The Avalanche Quartet. Un groupe parallèle dédié au répertoire de Leonard Cohen.
Comment est né The Avalanche Quartet ?
Vers 2002-2003, j’avais été invité à jouer quelques chansons à Hydra, l’île grecque où Leonard Cohen possède une maison, lors d’une rencontre de fans. J’y ai rencontré un auteur belge qui écrivait un ouvrage sur Leonard et il m’a demandé si je pouvais enregistrer des reprises pour un CD fourni avec son livre. Je m’y suis mis avec mon ami Pim Kops et deux dames. Quand nous avons fini, nous avons décidé de donner quelques concerts. The Avalanche Quartet était né. Rien n’était planifié. Nous avons été invités à jouer une chanson à la télé hollandaise. Beaucoup de monde a vu cette prestation et les demandes de concerts ont suivi. On a débuté dans de petites salles et puis cela a plu.
Depuis, vous continuez…
La plupart du temps, je joue avec les Nits et Pim avec De Djik, un groupe très connu aux Pays-Bas donc nous n’avons pas beaucoup de temps à consacrer à The Avalanche Quartet. Les seuls moments où nos groupes ne tournent pas, c’est en janvier et février. Nous en profitons pour nous produire avec The Avalanche Quartet. Nous avons aussi enregistré deux disques, nous en préparons un troisième. Il y a tellement de chansons à reprendre. Parfois, pour amener un peu de diversité, nous reprenons des morceaux liés à Leonard Cohen. Des chansons de Joni Mitchell, par exemple, ou The Night Owl, la chanson que j’avais écrite avec les Nits après ma première visite dans la maison de Leonard à Hydra.
Vous pouvez nous raconter cette visite ?
C’était au début des années 1990. J’accompagnais mon ami finlandais Seppo Pietikainen pour le tournage d’un documentaire sur Leonard et sa maison d’Hydra. Nous avions été autorisés à nous rendre dans cette maison dont un vieux couple, des amis de Leonard, s’occupait toute l’année. Elle n’est pas énorme, elle ressemble aux autres maisons du village. Et il y a cette fameuse pièce que nous recherchions, celle où Leonard écrivait et travaillait, celle que l’on voit sur l’album Songs from a Room avec cette photo de Marianne, assise à un bureau devant une machine à écrire. C’était magique de me retrouver dans cette pièce reliée à tellement de chansons qui ont compté dans ma vie. J’ai regardé par la fenêtre en cherchant un oiseau sur un fil électrique (allusion à la chanson Bird on a Wire). La seconde fois que nous sommes revenus, pour tourner, la pièce était en pleine rénovation. Tout était en train de changer… Quand Leonard a entendu parler de cette histoire, il a trouvé ça très drôle.
Quel est votre premier souvenir lié à Leonard Cohen ?
À la fin des années 1960, j’avais acheté une compilation à petit prix qui s’intitulait The Rock Machine Turns You On. Il y avait dessus Bob Dylan, Simon and Garfunkel, Taj Mahal, Blood Sweet and Tears… Et au milieu de tout ça, un nom inconnu : Leonard Cohen. Et cette chanson Sisters of Mercy. Je suis tombé immédiatement amoureux de sa musique. Comme beaucoup de personnes. Et je trouve toujours ses deux premiers albums – Songs of Leonard Cohen et Songs from a Room – très puissants. Quand je les réécoute, ils sont pour moi une machine à remonter le temps.
Quelles sont vos chansons favorites ?
Oh, eh bien… C’est dur à dire… J’aime autant des chansons plus récentes, comme Secret Life, que Famous Blue Raincoat et Take this Waltz, Winter Lady, The Stranger Song. Seems so Long Ago Nancy est une de mes favorites aussi, je l’ai traduite en néerlandais à la demande d’un éditeur pour une livre de chansons de Leonard Cohen. J’étais chargé de coordonner l’ouvrage. J’ai traduit deux chansons et j’ai proposé à plusieurs écrivains néerlandais de traduire son travail. Personne ne l’avait jamais fait, hormis pour Suzanne. Et Remco Campert, un de nos poètes les plus célèbres, avait traduit certains de ses poèmes à la fin des années 1960.
Vous avez aussi rencontré Leonard Cohen…
Oui. En 1988, à Bruxelles lors de l’enregistrement d’une émission de télé. Nous nous sommes rencontrés brièvement à la cantine. Leonard connaissait Seppo, qui traduisant ses chansons en Finlande. Ils sortaient souvent ensemble après les concerts que Leonard donnait à Helsinki. Il l’avait vu quelques jours avant. Cela m’a permis de me présenter comme un ami de Seppo. Nous avons mangé ensemble, il a parlé de sa vie, de sa tournée mondiale qui allait bientôt démarrer. Il n’avait pas de groupe alors il m’a proposé que les Nits l’accompagnent. Il nous connaissait. Son label, qui était aussi le nôtre, lui avait donné nos albums et il les avait appréciés. Hélas, nous étions en plein dans une tournée européenne. J’ai donc dû décliner sa proposition. Elle n’était peut-être pas sérieuse mais qui sait…
Vous avez des regrets ?
Un petit peu… Ça aurait été une sacrée aventure. Mais, d’un autre côté, j’avais ma propre carrière à mener. Ça marchait plutôt bien pour nous à l’époque. Cela aurait été un peu stupide de tout laisser tomber pour se retrouver à jouer derrière quelqu’un, même si c’était Leonard Cohen. Je pense que j’ai pris la bonne décision.
Vous vous souvenez du jour de sa mort ?
J’ai été bien occupé ce jour-là. Au milieu de la nuit, j’ai entendu une rumeur disant qu’il n’allait pas bien. Le matin, au réveil, j’ai reçu une vingtaine de demandes d’interview… Aux Pays-Bas, je suis considéré comme un des grands connaisseurs de Leonard. Pour ce que je fais avec The Avalanche quartet et le reste. Je me suis retrouvé à la radio, à la télé. Du matin au soir, j’ai parlé de Leonard. Toute ma journée a tourné autour de lui. J’ai interprété certaines de ses chansons. Dont Hallelujah pour la première fois. Je ne la chante jamais. J’aime cette chanson, notamment les versions de John Cale et Jeff Buckley. Mais elle a été tellement reprise, notamment dans les concours de talents à la télé. Ce jour-là, j’ai fait une exception.
La version originale d’Hallelujah, sur l’album Various Positions, est assez surprenante. Très synthétique…
Oui, je n’ai jamais compris certains de ses choix d’arrangements sur disque. Ses concerts étaient souvent bien meilleurs : le choix des musiciens, des instruments, des orchestrations était plus délicat que pour ses enregistrements. Je ne sais pas pourquoi il n’a jamais choisi cette option en studio.
Avec les Nits, vous aimez aussi mélanger des arrangements synthétiques avec une approche plus folk…
C’est un mélange que j’apprécie. Je ne suis pas fan des albums totalement acoustiques. Il y a de nombreux albums folk qui m’endorment au bout de quatre ou cinq morceaux. J’aime les musiques électroniques, je suis un grand amateur de Kraftwerk et Stockhausen. Même si avec The Avalanche Quartet, le parti pris est totalement acoustique. Je pense que c’est la meilleure manière d’interpréter les chansons de Leonard Cohen. Nous quatre, un piano, des guitares…
Savez-vous si Leonard Cohen avait entendu parler de The Avalanche Quartet ?
Je suis pratiquement sûr que oui. Je lui ai envoyé les albums que nous avons enregistrés mais il ne m’a jamais répondu. Je sais que Richard Robert, un journaliste des Inrockuptibles, avait rendu visite à Leonard à Los Angeles et lui avait amené un album du Avalanche Quartet. Et Patrick Leonard, qui a produit des albums de Leonard Cohen, a joué avec nous à Amsterdam. Donc il est pratiquement impossible que Leonard n’en ait pas entendu parler.
Pour vous, The Avalanche Quartet est-il une sorte de tribute band, de groupe hommage ?
Non, je ne le vois pas comme ça. J’aime beaucoup Leonard, ses chansons, sa façon de vivre en tant qu’artiste pop, rock, folk… je ne sais pas ce qui s’applique le mieux. C’est quelque chose qui m’a beaucoup inspiré mais je ne vais pas passer le reste de ma vie à jouer des chansons de Leonard Cohen. Et puis, je ne pense pas que Leonard aurait aimé le mot hommage. Cela l’aurait plus fait rire qu’autre chose.
The Avalanche Quartet en concert samedi 3 février à 21 h au théâtre municipal de Coutances (complet) et dimanche 4 février à 16 h à l’Antipode de Rennes.
Recueilli par Philippe MATHÉ Ouest-France
Le Monde 5 juillet 2007
Un hommage raffiné à Leonard Cohen aux Tombées de la nuit
Rennes Envoyé spécial
Le 3 juillet au matin, les Rennais ont pu remarquer que des milliers de pierres bleues s’étaient abattues sur leur ville. Atterri parfois avec fracas sur une voiture, un scooter et un chien, cette pluie fictive de météorites a donné le départ du festival des Tombées de la nuit, prévu jusqu’au 8 juillet. Ce clin d’oeil métaphorique se veut à l’image d’une programmation pluridisciplinaire qui investit l’espace public. Le 4 juillet, on pouvait, par exemple, commencer son après-midi dans le parc du Thabor. On devinait sous des igloos de plastique les silhouettes des musiciens d’une fanfare virtuelle. A chacun de découvrir les sons répartis dans l’espace au fil de la marche par la compagnie belge Het Pakt ! De la fantaisie de plein air, on pouvait passer au confinement d’un minuscule chapiteau en forme de moulin à café, le Moulin Cabot. On a d’abord l’impression d’avoir croisé dix fois les clowns de la compagnie 2 rien merci, leur esthétique de bredins de village et de produits de récupération. On s’attache pourtant à ces quatre personnages façonnant leur cirque entre déglingue, grâce et rouille.
Quel contraste avec les ors et velours de l’opéra de Rennes, où les organisateurs ont choisi de jouer le décalage d’une affiche pop. Le cadre convenait à merveille au raffinement de l’Avalanche Quartet de Henk Hofstede, programmé en exclusivité aux Tombées de la nuit. Célébré depuis vingt-cinq ans pour son travail d’orfèvre au sein de The Nits, groupe phare de la pop néerlandaise, Henk rend en ce moment hommage à Leonard Cohen. Fan du ténébreux poète montréalais, au point d’avoir tourné un petit documentaire dans l’île grecque d’Hydra, à la recherche de la chambre figurant au dos de la pochette d’un album de Cohen, le chanteur hollandais avait accepté d’enregistrer des reprises du Canadien pour un disque accompagnant une biographie rédigée par un journaliste belge.
Le projet a muté en un album plus ambitieux, Avalanche Quartet : Leonard Cohen Songs (disponible par Internet), suivi d’une tournée. Le mélange de rayonnante spontanéité et d’exceptionnelle précision qui a fait la réputation live des Nits profite ici à Famous Blue Raincoat, Seems So Long Ago Nancy, Sisters of Mercy… Cohen souffre du même malentendu que Georges Brassens. On vante ses textes en négligeant ses mélodies. Subtilement accompagné par une chanteuse-guitariste, une contrebassiste, un guitariste et un multi-instrumentiste (accordéon, percussions, claviers, guitare), Henk valorise particulièrement la délicatesse ciselée de ces compositions. Nourrissant son concert d’anecdotes, de touche d’humour et de didactisme, le leader des Nits insuffle une tendre luminosité à des chansons qui semblent se réjouir d’autant d’intelligence et d’humanité.
Stéphane Davet
dimanche 8 juillet 2007
Henk Hosftede & Avalanche Quartet, dans la vérité de Leonard Cohen
Je suis toujours dans la chaleur du merveilleux concert dont j’ai vu quarante minutes, mercredi soir aux Tombées de la nuit à Rennes : le projet Avalanche d’Henk Hofstede, consacré aux chansons de Leonard Cohen. Je n’ai hélas pu en dire grand-chose dans mon papier pour Le Figaro, et je regrette de n’en avoir pas plus vu, entre deux autres spectacles (le journaliste en festival, gavé et frustré à la fois).
Tout le monde avait remarqué dans les disques des Nits que la voix d’Henk Hofstede n’est pas très éloignée du timbre de Leonard Cohen. Il n’a pas voulu s’en éloigner plus, surjouer une indépendance qu’il ne recherchait pas : plusieurs de ses interprétations ne sont guère éloignées des originales du maître, comme Bird on a Wire (avec ses quatre acolytes, ils ont même prévu la guimbarde). Il y a quelque chose de très fin dans la manière dont il conduit les chansons de Leonard Cohen vers son propre univers, par de très légères nuances d’équilibre comme la domination des voix féminines dans Here It Is ou le fait que la voix lead d’ I’m Your Man est tenue par une femme. Curieusement, on ne sent nulle piété manifeste : ce répertoire ne l’intimide pas, il y circule un peu comme le gardien de musée parmi les tableaux, comme s’il savait parfaitement quel contact, quelle matière, quel geste peuvent être dangereux pour les œuvres aimées.
Mercredi à Rennes, ce joli rang de cinq musiciens radieux avait quelque chose de si manifestement heureux… J’en suis d’autant plus pantois que ce sera le seul concert en France de cette formation et que le disque Leonard Cohen Songs n’ait pas trouvé de distributeur dans un pays pourtant ami des Nits et qu’il faille le commander sur internet. C’est pourtant une des plus belles entreprises rock de l’année.
Publié par Bertrand Dicale
Live | 11 juillet 2007
Songwriting: les chansons de Leonard Cohen choyées
Le festival des Tombées de la Nuit levait, la semaine passée, les yeux sur une aube rare: l’Avalanche Quartet, avec Henk Hofstede des Nits, reprenaient le poète canadien
Il y a bien longtemps que Leonard Cohen n’a pas promené son élégante silhouette sur les scènes françaises. Mais le 4 juillet dernier, à l’Opéra de Rennes, son esprit était bien là, divinement ranimé par les membres de l’Avalanche Quartet (en quintette pour l’occasion).
Dans le cadre de l’admirable festival Les Tombées de la Nuit, ce groupe néerlandais, réuni autour du chanteur des Nits Henk Hofstede, a proposé une plongée soufflante de beauté dans le répertoire du Canadien. Depuis longtemps familier de l’ oeuvre de Leonard Cohen, Henk Hofstede, posant sa voix subtilement expressive sur des arrangements électro-acoustiques sophistiqués (guitares, contrebasse, accordéon, piano, cajón…), a démontré qu’on pouvait se glisser dans l’habit du poète canadien sans le trahir ni le singer. Pour lui, ce projet est aussi une belle occasion de rattraper un rendez-vous manqué avec Leonard Cohen. “Il y a vingt ans, j’ai eu le privilège de le rencontrer à Bruxelles, lors de l’enregistrement d’une émission télévisée. Il m’a dit qu’il aimait beaucoup les Nits, et m’a proposé que nous l’accompagnions sur sa prochaine tournée. Nous avions déjà beaucoup d’engagements de notre côté, et ça n’a pas pu se faire. Sur le moment, je n’ai pas mesuré ce que ça représentait. Mais par la suite, j’en ai eu des sueurs froides rien qu’en y repensant!”
Avec l’Avalanche Quartet, également auteur d’un album chaudement recommandé (Leonard Cohen Songs), les chansons de Leonard Cohen sont tombées entre de bonnes mains. Celles des honnêtes hommes et des grands musiciens, auxquelles elles ont toujours semblé destinées.
Richard Robert
Jeudi 29 novembre 2007
Rockomondo audio-blog
En attendant le nouvel album des Nits (prévu l’année prochaine), on ne perdra pas son temps en écoutant le très bel hommage rendu à Léonard Cohen par Henk Hofstede et quelques uns de ses amis sous le nom d’Avalanche Quartet. C’est en 1988 que le chanteur des Nits rencontre Cohen dans un studio de télévision bruxellois. Fan depuis toujours, il invite le canadien à diner avec lui et c’est là que ce dernier lui confie qu’à la veille de partir en tournée mondiale, il n’a toujours pas de groupe pour l’accompagner. Est-ce que les Nits ne seraient pas par hasard disponibles pour remplir cette fonction ? Malheureusement, à cette époque, le groupe hollandais est en plein milieu de sa propre tournée qui l’emmène un peu partout dans le monde après le succès de l’album “In the Dutch mountains”, et se voit donc contraint de décliner la proposition. Henk Hofstede raconte qu’aujourd’hui encore, il lui arrive de se réveiller en sursaut la nuit en faisant des cauchemars à propos de ce rendez-vous manqué.
Deux ans plus tard, on le retrouve à Hydra, l’ile grecque où Leonard Cohen a écrit ses premières chansons. L’idée est de retrouver la chambre figurant au verso de la pochette de “Songs from a room” pour un reportage tourné par le cinéaste finlandais Seppo Pietikainen. C’est lors de ce voyage qu’Henk Hofstede fait la connaissance du journaliste belge Marc Hendrickx, venu au même endroit pour écrire une biographie de Cohen. Les deux se mettent d’accord pour faire accompagner l’édition hollandaise du livre par un CD de reprises enregistré par Henk Hofstede.
Sorti en 2005 sous le titre “Yesterday’s tomorrow”, le livre-CD reçoit un excellent accueil dans la presse néerlandaise. Sur le disque, Henk Hofstede au chant et à la guitare acoustique est accompagné par la chanteuse Marjolein van der Klauw, la contrebassiste Arwen Linneman et le multi-instrumentiste Pim Kops. Le traitement tout acoustique, bien que restant fidèle aux chansons de Cohen, leur offre de belles teintes boisées et chaleureuses que n’avaient pas toujours les versions originales. Et les voix en duo féminin/masculin offrent une lecture inédite qui rappelle souvent ce grand folksinger néerlandais injustement méconnu qu’est Ad van Meurs, alias The Watchman.
Il aurait été dommage d’abandonner à ce stade une aussi bonne idée, et c’est pourquoi ce projet est devenu aujourd’hui un vrai groupe qui se produit sous le nom d’Avalanche Quartet. On a pu le voir en France l’été dernier pour un concert unique à l’Opéra de Rennes dans le cadre du festival “Les Tombées de la Nuit”, salué par une critique unanimement enthousiaste. Espérons que ce ne sera pas le dernier. Quand à l’album, il a été réédité en janvier 2007 dans une version améliorée par le label suisse Faze Records. On attend toujours une distribution française.
publié par J.P. Moya
Tombées de la Nuit, Rennes 2007
Henk Hofstede (voix, guitare), Marjolein van der Klauw (voix, guitare), Pim Kops (multi-instrumentiste), Arwen Linnemann (contrebasse)
Henk Hofstede, leader des merveilleux Nits, affi rme sa place à part dans le festival en revenant cette année avec ce nouveau projet autour des chansons de Leonard Cohen. Après ses nombreux concerts à l’Aire Libre avec ses Nits et sa venue aux Tombées de la Nuit en 2005 pour sa magnifi que performance solo de chansons en fl amand et en images, il nous présente cette fois son subtil Avalanche Quartet (titre emblématique de Cohen). Cet orchestre de chambre pop tout en acoustique et en voix a été réuni au départ pour un enregistrement destiné à illustrer une biographie du chanteur canadien. Mais ce magnifi que travail ne pouvait rester confi né aux bibliothèques et aux enceintes de quelques privilégiés…
Fan de longue date de l’oeuvre du ténébreux Canadien, Henk Hofstede le croise pour la première fois sur un plateau de télévision à Bruxelles en 1988. Il prend son courage à deux mains, entame la discussion et la soirée se poursuit dans une cafétéria. Cohen n’a pas de groupe pour sa prochaine tournée et propose à Henk de l’accompagner. Les Nits sont au fait de leur carrière et s’envolent pour le Canada, New York, Moscou… Des années plus tard, Henk se lèvera encore la nuit en repensant à cette occasion manquée. Après un projet de documentaire avec son ami cinéaste finlandais Seppo Pietikaïnen, autour de Leonard Cohen, il rencontre en 2003 l’écrivain belge Marc Hendrickx qui est en train de terminer une biographie du chanteur. Henk enregistre dix chansons de Leonard Cohen pour l’inclure dans le livre Yesterday’s tomorrow. L’Avalanche Quartet est né, soit son ami Pim Kops (De Dijk), Marjolein van der Klauw (Powderblue) et l’ancienne contrebassiste des Nits, Arwen Linnemann. Ce qui frappe d’emblée à l’écoute des dix chansons de l’album, c’est qu’on pourrait très bien être en présence de quelques magnifi ques chansons inédites des Nits.
Est-ce parce qu’Henk Hofstede a tellement fait sien l’univers et l’héritage de Cohen qu’il peut en jouer avec une totale liberté ? Estce son chant aérien, de plus en plus précis, qui peut transfigurer à sa main la plus marquée des mélodies ? La dimension européenne de l’art du canadien transparaît étonnement à travers l’instrumentation aussi subtile que dépouillée (Take this waltz, Dance me to the end of love). Les choeurs quasi liturgiques des deux femmes nous emmènent très loin dans l’émotion. C’est à un nouveau voyage en chanson, aussi libre et respectueux que passionnant, que nous convie Henk Hostede, affi rmant encore, s’il est besoin, sa place unique dans l’univers de la pop contemporaine.